Recherches archéologique sur les métiers et la production artisanale au Maroc du Haut moyen âge
le cas du site d’al-Basra
Le programme « Recherches archéologiques sur les métiers et la production artisanale au Maroc du Haut moyen âge : le cas d’al-Basra » est un projet de recherche maroco-américain coordonné par l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (Rabat) et George Washington University DC (USA). Codirigé par A. S. Ettahiri et N. L. Benco, le projet fait suite à une série de recherches archéologiques entamées au début des années 80 (1980-1981 et 1983-1984) par Charles Redman dont les résultats préliminaires ont fait l’objet d’une thèse sur la céramique du site et des articles publiés dans le Bulletin d’archéologie marocaine.
La ville d’al-Basra s’élève à 30km de Souk al-Arbâ, sur la route qui mène de cette localité à Ouezzane, et à une vingtaine de kilomètres au sud de la ville d’al-Qasr al-Kabir. Capitale provinciale entourée d’un territoire fertile, elle est une fondation idrisside qui remonte à la fin du VIIIe. En 958, une expédition fatimide attaque la cité et donne naissance à un petit état idrisside d’obédience fatimide. Quinze ans plus tard, le calife omayyade al-Hakam envoie une armée qui s’empare de la ville et annonce le rattachement du Maroc du nord aux Omayyades de l’Andalousie. Les Zirides mènent, en 979, une offensive contre les territoir rattachés aux Omayyades et font détruire les fortifications de la ville d’al-Basra avant d’être repoussés par les tribus Zenata et les Andalous de Sebta.
Suite au décès d’Idriss II, la principauté idrisside est partagée entre ses descendants. al-Basra est léguée, avec les villes d’Asîla, Larache et leurs territoires jusqu’au pays d’Ouargha, à l’émir Yahia Ibn Idriss II. Elle est promue au rang de capitale d’une grande province, et se trouve ainsi au milieu d’un terroir riche et de localités florissantes dont l’économie est fondée sur une agriculture et une industrie diversifiées (coton, orge, blé, céramique, textile et métallurgie…etc.). Le surplus est destiné, comme en témoignent plusieurs chroniqueurs arabes, à l’exportation vers les pays du bassin méditerranéen, et plus particulièrement vers l’Andalousie et l’Ifriqiya. Des échanges sont signalés aussi avec les régions voisines, surtout en période de paix comme le pays Tamesna des Berghouata au sud du Bou Regreg et probablement avec le Sous al-Aqsa, pays riche en produits précieux comme les limons, les noix, les amandes, les dattes, la canne à sucre, le sésame, le chanvre et toutes sortes de légumes qui ne se retrouvent guère réunis ensemble en d’autres lieux. C’est probablement l’une des raisons qui a poussé le calife omayyade d’Andalousie à circonscrire la ville d’une enceinte et d’en renforcer le système défensif.
C’est cette diversité de production ressassée par les chroniques et attestée par la découverte, au début des années 80, de fours de céramique et d’une zone liée à une intense activité industrielle que le projet tente de poursuivre les recherches et d’appréhender les systèmes et l’impact de ces systèmes. Des études menées ailleurs au cours de la deuxième moitié du XXe siècle sur d’autres régions ont établi des typologies et des modèles de la production dans les sociétés du début du moyen age. Ces recherches ont insisté sur le rôle des métiers et de leur production (l’économie) dans l’établissement et l’évolution des systèmes politiques. La problématique s’articule ainsi autour du rôle que les classes politiques et les institutions ont joué dans la production, l’échange et le maintien des pouvoirs en place.
A partir de l’exemple d’al-Basra et de sa production économique, l’équipe pluridisciplinaire, constituée d’archéologues, d’archéobotanistes, d’archéozoologistes, de géophysiciens et d’étudiants stagiaires, s’est penchée, après l’établissement d’une carte magnétique et d’un plan topographique du site et la délimitation des zones artisanale et résidentielle, sur les différents métiers qu’a connus le site, leur répartition et la consommation en insistant sur les techniques de production des métaux, du textile et plus particulièrement celle de la céramique. Les investigations de terrain ont été programmées sur cinq ans. La première campagne a été effectuée en 1990. Après quatre ans d’interruption, l’équipe a repris les travaux en organisant quatre autres missions : en 1994, 1995, 1998 et 1999. Les premiers résultats ont permis de dégager le système d’organisation et de hiérarchie de la production et des métiers. Le site d’al-Basra, comme l’ont souvent rapporté les manuels de hisba et certaines chroniques médiévales, est organisé en plusieurs zones fonctionnelles. Sur le côté ouest de la vallée reliant les deux collines sur lesquelles s’étend la ville se trouvait un quartier industriel très animé. Outre les deux fours rectangulaires spécialisés dans la céramique, la fouille a permis d’enregistrer d’importantes traces de production métallurgique (scories, charbon, lissoirs …etc.) et des ratés de cuisson. L’étude comparative des matériaux avec ceux de la prospection au sol du territoire du site (al-Basra) ont permis de conclure que 80 à 100 % des produits céramiques de la ville couvrent un région dont le rayon atteint plus de 50km, avec une très forte concentration dans le secteur de Moulay Bousselham (al-Marja al-Zarga)) et aux alentours de la ville d’al-Qasr al-Kabir. Dans ce dernier secteur d’ailleurs, neuf sur dix formes sont identiques à celles des manufactures de la ville d’al-Basra. D’autres indices céramologiques ont confirmé l’existence de liens commerciaux très suivis entre al-Basra, Sebta, Fès et les fabriques andalouses : les niveaux correspondant à la troisième phase d’occupation du site (Xe siècle) ont livré de la cuerda secca, de la céramique émaillée jaune-miel et brun de manganèse qui rappellent toutes celles de l’époque califale de madinat az-Zahrâ’. Au niveau de la numismatique, plusieurs pièces de monnaies en argent sont découvertes sur le site. Elles sont frappées par l’atelier de la ville et, par des souverains omayyades et des émirs idrissides. Ainsi, il est permis de voir dans l’annexion du nord du Maroc à l’Andalousie califale des raisons plus économiques qu’idéologiques.
D’un autre côté, les données archéozoologistes et archéobotanistes ont démontré que l’élevage et l’agriculture tenaient un rôle primordial dans les activités de la cité. L’étude zooarchéologique de la matière osseuse mise au jour sur le site entre 1990 et 1999 a démontré que les habitants de la ville produisaient des quantités énormes de viande, en particulier des ovins (moutons, agneaux), des bovins (vaches, taureaux, boeufs,) et des caprins (chèvres), des poulets et des lièvres ainsi que d’autres animaux domestiques ou d’élevage. Le territoire renfermait aussi plusieurs espèces des antilopes, des cerfs …etc. L’étude de laboratoire a permis aussi d’identifier plusieurs variétés de produits agricoles dont les plus importants restent l’orge, quatre espèces de blé (Triticum aestivum, Triticum dicoccum, Triticum durum et Triticum monococcum), le maïs, les haricots, les lentilles, les raisins et les figues. Ainsi, à l’exception du coton dont les restes se carbonisent et deviennent difficilement discernable, tous les produits inventoriés concordent avec les données textuelles et prouvent que la ville et sa région étaient fortunées. Des jetons en verre de type fatimide semblables à ceux du Xe siècle découverts sur le site d’Awdaghoust (en Mauritanie) s’ajoutent aux données textuelles relatives au commerce maritime que nouait la ville et ses localités avec les pays du bassin méditerranéen et plus particulièrement avec l’Ifriqiya. Ces considérations prouvent que non seulement al-Basra mais aussi le Maghreb al-Aqsa animaient encore une économie dont l’excédent est destiné à l’exportation.
Institutions impliquées
Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (INSAP).
Responsabilité scientifique
Ahmed S. ETTAHIRI